Une brève chronologie des formes de représentation et de revendication du monde du travail
La Papeterie d’Essone : les lessiveurs sphériques 1860 : cette usine traite les chiffons de manière industrielle pour fabriquer du papier. Les chiffons, une fois coupés, brossés, battus et ventilés mécaniquement dans un premier atelier, sont ensuite dirigés dans les cuves de lessivages où ils sont débarrassés des matières grasses et blanchis. Ce sont d’énormes cuviers cylindriques tournant à la vapeur, qui brassent une tonne de chiffon et dans lesquels on verse un lait de chaux.
La Repasseuse Edgar Degas, 1869 : ici, la repasseuse travaille debout, esseulée et apparaît paisible, solitaire et intemporelle. En outre, son corps bien droit, son tablier d’un bleu céleste et son visage lisse expriment la sérénité.
Les déchargeurs de charbon Claude Monet, vers 1875 : les tons éteints, allant du vert au gris, donnent à la scène une atmosphère sourde. Les silhouettes à contre-jour, dépersonnalisées, disposées en files parallèles au rythme mécanique sur les passerelles, sont aussi une image de la tristesse de la condition ouvrière. Les figures sont fortement contraintes par le rythme de la composition : l'arche du pont impose sa masse, la grande oblique des péniches traverse la toile, tandis que les lignes des planches donnent une scansion particulièrement obsédante.
Raboteurs de parquet Gustave Caillebotte, 1875 : ce tableau constitue une des premières représentations du prolétariat urbain. Si les paysans (Des glaneuses de Jean-François Millet) ou les ouvriers des campagnes (Casseurs de pierres de Gustave Courbet) ont souvent été montrés, les ouvriers de la ville ont très rarement fait l'objet de tableaux.
La sortie de l'usine Lumière à Lyon Louis Lumière, 1896 : le 19 mars 1895 à Lyon dans le chemin saint Victor, Louis Lumière pose sa caméra en face des portes de l'usine. Il ouvre les portes et laisse sortir les ouvrières et les ouvriers. Cette captation serait considérée par certains historiens comme le premier film… en savoir davantage…
la sortie de l'usine Lumière à Lyon, 1896 par Louis Lumière
Les travailleurs rentrant chez eux Edvard Munch, 1913-1914 : précurseur de l’expressionnisme, Munch, s’est nourrit du développement de la photographie et du cinématographe, des expériences dans le domaine théâtral, pour livrer, ici, une image qui sort de l'écran, qui se jette quasiment sur le spectateur, qui crève la toile. Une oeuvre qui rappelle aussi le tout premier film des frères Lumière « La sortie de l'usine Lumière à Lyon ».
Un ouvrier au travail dans une usine à gaz à Versailles François Kollar, 1915 : cet ancien employé des chemins de fer devient photographe professionnel après avoir acquis une riche expérience de chef de studio chez l’imprimeur parisien Draeger. Sa connaissance intime du monde du travail, de la publicité à la mode en passant par l’industrie, l’artisanat et l’agriculture, lui permet d'aborder les outils, les matériaux et les gestes avec une expertise professionnelle exceptionnelle.
Les huit heures Félix Doumenq, 1919 : cette affiche pour l'Union des syndicats de la Seine avec la doléance « Ouvrier employé le principe en est voté mais seule ton action », vient défendre la limitation de la durée de la journée de travail à heures heures qui constitue l’une des revendications majeures du monde du travail dès les années 1880. De part et d’autre du huit en forme d’horloge, deux groupes de personnages suspendus à une corde tentent d’agir sur le temps a contrario. À gauche, deux employés, deux ouvriers et deux femmes, identifiables à leur tenue : chapeaux mous et costumes, manches de chemises retroussées, tablier de forgeron, ceinture de terrassier. Ils s’essaient à ramener l’aiguille des minutes vers huit heures précises. À droite, quatre bourgeois portant un chapeau haut de forme ou melon et une dame en chapeau tentent de maintenir l'aiguille au delà.
KN der Schmied KN le forgeron Paul Klee, 1922 : ce tableau est le seul qui dans l'œuvre de Klee représente un homme au travail. L'œil averti y reconnaîtra un petit personnage schématique à tête d'enclume. Les intrigantes lettres, KN, sont les initiales de Kandinsky et de sa femme, Nina, à qui Klee a offert le tableau.
Metropolis / la relève des ouvriers Fritz Lang, 1927 : le film raconte l’histoire de Freder, le fils du maître de Metropolis, Joh Fredersen, qui connaît une existence idyllique jusqu’au jour où il aperçoit une jeune femme venue de la cité ouvrière. Elle se nomme Maria et Freder, cherchant à la retrouver, découvre que son père lui cache une dure vérité : les quelques élus de Metropolis vivent dans la richesse absolue, mais la masse ouvrière est esclave des machines qui donnent la vie à la grande métropole… en savoir davantage…
Metropolis - Les deux mondes : la cité des travailleurs et le Club des Fils. arte
Affiche électorale du Parti nazi 1932 : traduction du texte : « Nous, les travailleurs allemands, sommes éveillés. Nous votons national-socialiste. Liste 2 »
Modern Times / Les temps modernes Charlie Chaplin, 1936 : ce film est une satire du travail à la chaîne et un réquisitoire contre le chômage et les conditions de vie d'une grande partie de la population occidentale lors de la Grande Dépression (crise économique des années 1930, dite encore « crise de 29 », est une longue phase de crise économique et de récession qui frappe l'économie mondiale), imposées par les gains d'efficacité exigés par l'industrialisation des temps modernes.
Charlie Chaplin - Modern Times (bande-annonce)
Ton travail crée leur bonheur Équipe Alain Fournier (atelier d'affichistes), 1940 : cette affiche de propagande atteste du comment un discours officiel, orienté par une certaine forme d’idéologie, finit par s’emparer de la réalité du travail pour valoriser l’effort de guerre.
We Can Do It! John Howard Miller, 1943 : cette affiche de propagande patriotique patronale américaine est destinée à soutenir l'engagement des femmes dans l'effort de guerre (six millions d'ouvrières) pendant la Seconde Guerre mondiale.
Affiche de propagande Erix Castel, lithographie, 1943 : « En travaillant en Allemagne, tu seras l'ambassadeur de la qualité française ». Dans cette affiche, le monde et le travail ouvriers sont exaltés ici à des fins de propagande. Elle reprend certains des codes et des innovations de la représentation du monde urbain et industriel en cours dans les années 1930, pour les réinterpréter.
Les Constructeurs Fernand Léger, 1950 : dans un entrelacs de poutrelles colorées, des hommes au travail soutiennent des barres de fer, l'un déhanché, chemine sur une échelle, un autre chevauche l'appareillage monstrueux des échafaudages sur un ciel bleu empreint de quelques nuages.
Parti Communiste Alain Le Quernec, 1977 : commande du Parti Communiste français pour donner de la visibilité à la crise du chômage. Dès le départ, le graphiste imagine une série de silhouettes d’ouvriers à taille réelle, qui regardent les gens dans la rue (à l’image des collages d’Ernest Pignon Ernest à la même époque).
The Golden Mine Sebastião Salgado, 1986 : le photographe brésilien entre dans l'immense mine d'or près du village de Serra Pelada, au Brésil. Près de 50.000 hommes se démènent pour évacuer à la main la boue collante et atteindre un filon.
Office soldiers playing blindman's buff Des soldats de bureau jouent à colin-maillard Martinho Dias, 2019 : le travail de ce peintre portugais est principalement figuratif, et le thème principal est social, jouant avec les différents pouvoirs de la société et les couches sociales privilégiées, mélangé avec une généreuse dose d'ironie et d'humour entourant de nombreux paradoxes.
Addendum #1 - le portrait photographique ouvrier…
Les hommes du chantier Dominique Delpoux, 1997 - 1998 : cette commande des portraits d’ouvriers pendant la construction du Théâtre National de Toulouse a été initiée par son directeur Jacques Nichet. Elle témoigne la réalité du travail quotidien des ouvriers et combien les corps et les esprits sont marqués en fin de journée. Une première photographie est réaliséele matin, tandis que l’ouvrier s’apprête à travailler et une seconde en fin de journée, avant qu’il ne quitte son poste. Indissociables par nature, les deux instantanés sont présentés en miroir reflétant les stigmates du labeur d’un jour et conceptuellement encadrant cette journée de travail.
Les ouvriers de la Cofra Dominique Delpoux, 2011 : cette commande est la réalisation de trois portraits, deux devant l’usine en début et en fin de poste puis le troisième dans les vestiaires à l’issue de la douche. Au final, huit triptyques sont présentés, comme un symbole pour ces ouvriers dont le système d’organisation d’horaires de travail est en « trois-huit ».
Portraits industriels en usine pour Ait-Stein Group Patrick Sordoillet : l’homme est tout petit dans ces assemblages de structures tubulaires métalliques de grande taille accompagnés d'innombrables soudures et de leurs gerbes ininterrompues d’étincelles. Un environnement totalement propice à la réalisation de portraits posés de tous ces ouvriers-soudeurs dans leurs tenues de protection non moins photogéniques.
Quand le textile français renoue le fil Raphaël Helle, 2022 : lui-même issu de ces métiers du tricotage et de la couture, ce photojournaliste, dont l’un des thèmes de prédilection est le monde ouvrier, se propose de s’immerger à nouveau dans cet univers cher à son cœur, afin de témoigner et relayer, dans leur authenticité, les projets de réindustrialisation qui renaissent dans les vallées, villes grandes ou moyennes et bourgs qui n’ont jamais failli dans leur volonté. Ici, Maryline, tisserande, intervient sur un métier à tisser sur le célèbre tweed rose des robes Chanel (Usine Emanuel Lang, Hirsingue, Haut-Rhin, 23 mars 2022).
The Workers Arne Svenson, 2014 : est un photographe américain qui s’intéresse aux professions trop souvent méprisées par la société et présente une collection de portraits ovales qui révèle le monde du travail manuel. Ces images relèvent presque du voyeurisme car le photographe se focalise sur des détails précis : un cou, une main ou encore un visage masqué.
Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles Silos Danger, Bernard Chadebec, 1987 : depuis 1947, l’INRS contribue à la prévention des risques professionnels. Axé dans un premier temps sur le recueil et la diffusion d’information ainsi que la formation, l’Institut élargit ses activités à la recherche appliquée à partir de 1968. C’est aujourd’hui un institut pluridisciplinaire au service des professionnels de la prévention, des entreprises et des salariés. Pour toucher le travailleur, les graphistes font appel aux émotions, comme l’humour ou la peur. Ce ressort est utilisé à toutes les époques y compris de nos jours. Les affiches puisent aussi dans l’inconscient collectif et la culture commune pour marquer les esprits.
Bernard Chadebec Danger, 1987 : diplômé des arts appliqués à l'industrie, est un graphiste français qui est essentiellement connu pour ses affiches de prévention des risques professionnels, réalisées pour l'Institut national de recherche et de sécurité. en savoir davantage…
Voir absolument les quatre épisodes de la série « Chadebec bouscule l'affiche » :
épisode #1 : l'affiche, un art au service de la prévention
épisode #2 : l'affiche, reflet d'une époque
épisode #3 : renouvellement du graphiste
épisode #4 : les influences
Sécurité au travail en URSS Ne surchargez pas les élingues, V. L. Kondratiev, 1977 : Le danger mortel d'une chute est une sous-thématique classique, présentée de façon dramatique. Dans cet exemple, le « lourd texte » de la consigne en grandes lettres typographiques, a cassé l'élingue et écrasé l'ouvrier.
Mai - Juin 1968 415 affiches. L’histoire de Mai 68 s’est écrite sur les murs. Mai 68, c’étaient des slogans, des graffitis, mais également des centaines d’affiches qui ont fixé un message et une esthétique bien particulière. Les étudiants de l'École des Beaux-Arts de Paris se sont regroupés le 14 mai 1968 et ont donné à l’école occupée le nom d’Atelier populaire. C’est au sein de cette organisation, rigoureuse dans les formes mais libre dans le ton, que seront créées les très nombreuses affiches. Recourant à la sérigraphie, souvent en une seule couleur pour économiser temps et argent, les artistes de l’Atelier populaire ont conçu des images, ainsi qu’un style qui sera repris au fil des ans. Plusieurs de ces étudiants en arts se sont retrouvés au sein d’un collectif nommé Grapus(Pierre Bernard, François Miehe et Gérard Paris-Clavel), qui fut très actif dans la France des années 1970 et 1980.en savoir davantage, Michel Wlassikoff…
1er Mai, journée internationale des travailleurs Série d'affiches. Cette journée de « La fête du Travail », ou « fête des travailleurs », est un jour férié annuel célébrant les conquêtes sociales des travailleurs, et trouvant son origine dans les combats pour la journée de huit heures. Elle est synonyme de la journée internationale des travailleurs dans la plupart des pays. Cet événement politique majeur a été le lieu d'une large production d'affiches…
Plusieurs mots d'ordre sur cette affiche appelant à manifester le 1er mai. 1920
Avec la CGTU et le PC manifestez le 1er mai ! 1935
1er mai, le travail est à l'honneur. Roland Hugon, 1941
1er mai, tous unis, manifestez pour le pain, la paix, la liberté et l’indépendance nationale. Hervé Morvan, 1949
CGT. Vive le 1er Mai. Défendre les libertés. Lutter pour les revendications. Ernest Pignon-Ernest, 1979
1er mai, affiche de l'intersyndicale de Brest. 2023
13 octobre 2023 Série d'affiches CGT pour la mobilisation, appel à participation créative. Le vendredi 13 octobre 2023, la CGT et l'ensemble de ses organisations appellent à une journée de mobilisation et de manifestation contre l'austérité et pour l'augmentation des salaires, des pensions et l'égalité femme-homme. Pour l'évènement, la CGT édite une vingtaine d'affiches à partir de visuels réalisés par plusieurs graphistes.
Série de quatre affiches créées par le graphiste Geoffrey Dorne. 2023
Front Populaire 2024 24x36.art, les 36 raisons de faire des affiches pour le Front Populaire 24. Ce n’est pas 68, mais plutôt 24 et 36. Un collectif d’artistes, graphistes, illustrateurs et photographes propose des affiches au format 24x36, faisant le rapport en image entre le Front populaire de 1936 et celui de 2024. Ils appellent les créatifs à participer à cette initiative et tous les citoyens à s’en emparer pour afficher leur soutien au mouvement.